L’énergie nucléaire

    Dans les applications de la physique subatomique, celle de l’exploitation énergétique est de loin la plus connue, la plus recherchée et la plus utilisées. En effet, comme on a pu le voir précédemment les énergies misent en jeu lors des réactions nucléaires sont démesurées par rapport aux dimensions des éléments (cf. énergie de cohésion, énergie de masse).

I. La fission

    Dans la nature, cette propriété de fission ne s’observe pas ou très peu. Les noyaux sont globalement stables. Pour rompre cette stabilité, on bombarde le noyau de neutrons, l’énergie cinétique est transmise au noyau lors de l’impact et entraîne ce phénomène de fission observé pour la première fois en 1938 par Hahn et Strassman.

    1)La fission provoquée

    A 300K, une neutron possède une énergie thermique de l’ordre de kBT@ 1/40eV. Energie suffisante pour que le 236U formé (n+235U® 236U) se déforme oscille et se rompe. Les masses obtenus après rupture sont très souvent inégales surtout si le neutron est de faible énergie. C’est la fission asymétrique. Comme le noyau initial est riche en neutron (cf. paragraphe suivant), les noyaux produits le seront aussi, il en résultera souvent une radioactivité b -.

    2)Barrière de fission

    La fission d’un 235U va nous donner une énergie de l’ordre de 200MeV. En effet l’énergie de liaison par nucléon pour un atome avec A=236 est de l’ordre de 7,55MeV (cf. §IV.3) pour A=118 autour de 8,45 (118=236/2 => cas de la fission symétrique).

    Donc D E@ (8,45-7,55).236=210MeV. C’est donc un processus exoénergétique pour les noyaux lourds, donc une réaction qui à tendance à être spontanée. Pourtant les périodes de ce processus sont très grandes. I.e. il y a une barrière à franchir avant de parvenir à la rupture. Cette barrière est le résultat de la " lutte " entre l’interaction forte et la répulsion coulombienne. Plus il y a de neutrons, plus le noyaux est favorable à la fission, car la " taille " du noyau augmente avec le nombre de neutrons, l’interaction forte n’agit qu’à très courte distance et il arrive un moment où l’énergie coulombienne " antiliante " l’emporte sur la tension superficielle. Cette énergie peut très bien être apportée par l’extérieur par bombardement de neutrons par exemple c’est la barrière de fission.

II. Principe d’exploitation des centrales nucléaires

    A part l’235U, et l’isotope de plutonium 239Pu, il existe peu de noyau fissiles par capture de neutrons thermiques (E=1/40eV). Le 239Pu a une période T=2,44.104 ans et s’obtient a partir d’un 238U (dit noyau fertile) selon les réactions :

    Environ 80% de l’énergie de fission est transmise aux fragments sous forme d’énergie cinétique et est donc récupérable sous forme thermique. Le reste est dissipé en radioactivité b , g et surtout en production de neutrons " rapides " (E@ 2MeV). Ces derniers vont à leur tour provoquer d’autres fissions avec les noyaux voisins et créer ainsi une réaction en chaîne.

    D’une génération à la suivante, le nombre de ces neutrons rapides est multiplié par un facteur k :

    k>1 ® réaction divergente ® dispositif surcritique (explosion)
    k=1 ® réaction stationnaire ® dispositif critique
    k<1 ® réaction décroissante ® dispositif sous-critique

    Ordre de grandeur de l’énergie dégagée (à raison de 200MeV par fission) :

    1g de matière fissile ® 7.1010J (235U)
    1g de charbon ® 3,3.104J

    Soit un rapport de l’ordre de 1 million !

    1)Thermalisation des neutrons : Modérateur

    Le facteur k défini précédemment dépend de plusieurs paramètres :

    ® nature du combustible
    ® dimension de l’enceinte

    Les pertes par " fuite " de neutrons sont proportionnelles au rapport , et aussi à la qualité réfléchissante de cette surface. Il va donc exister un rapport S/V tel que k=1 Û " taille critique du réacteur ".

    Les dimensions de l’enceinte étant fixes, on contrôle k à l’aide d’autres réactions induites par les neutrons. En effet, tous les neutrons produits ne vont pas occasionner uniquement des fissions, il y aura des diffusions élastiques et des réactions de capture Þ perte d’énergie Þ k diminue. On accentue d’autant plus ces pertes d’énergie que les neutrons interagissent avec des éléments qui ne peuvent provoquer de réaction libérant des neutrons rapides (éléments légers), on introduit donc des matériaux (tels l’eau, l’eau lourde, le graphite...) pour " thermaliser " les neutrons : c’est ce qu’on appelle les modérateurs.

    2)Réacteur à uranium naturel

    On a vu qu’un neutron thermique (1/40eV) suffisait à déclencher la réaction de fission 235U. Un modérateur est alors indispensable et doit être très performant pour " ralentir " les neutrons rapides.

    L’uranium naturel se compose à 0,71% d’235U (fissile avec un neutron thermique) et de son isotope 238U. Considérons une énergie inférieure au seuil de fission de l’238U (seule la fission de l’235U occasionnera une production de neutrons). Soit :

    .

    On peut donc écrire :
    où :

    n = nombre moyen de neutrons émis par fission
    s c = section efficace de capture de l’élément concerné
    s f = section efficace de fission de l’élément concerné
    N = nombre de noyau de l’élément concerné

    Numériquement, on a h @ 1,33 (si 235U pur h @ 2,1). Donc h >1 Þ le nombre de neutron est donc croissant au fur et à mesure des réactions successives Þ k>1 par définition. Cependant, k<h à cause de l’absorption dans le milieu modérateur. On obtient donc un bon compromis avec k@ 1.

    3)L’uranium enrichi

    D’après la formule précédente, la faible proportion d’235U (fissile à basse énergie) dans l’uranium naturel entraîne une valeur de h relativement faible. Le processus d’enrichissement consiste donc à obtenir de l’uranium avec une pourcentage d’235U plus élevé (2,5% 235U ® h @ 1,8 (au lieu de 1,33)). Conséquence, la " concentration " du modérateur doit être plus élevée. Si, par exemple, on utilise l’eau comme modérateur, il faudra plongé le réacteur dans une grande quantité d’eau ce qui en fait est un avantage puisque l’eau étant un élément caloporteur, elle va permettre le transport de l’énergie jusqu’aux turbines électriques.

    Cependant, intervient un gros problème d’ordre économique. La séparation des isotopes 235U et 238U est très difficile et donc très onéreuse car ils jouissent approximativement des mêmes masses et des mêmes propriétés chimiques.

    4)Plutonium et surgénérateurs

    Comme on l’a vu en introduction, le plutonium 239Pu est un noyau fissile comme l’235U. On a vu aussi que le phénomène de fission de l’uranium entraînait des réactions de capture : 238U+n®® 239Pu. Ce plutonium ainsi formé ayant une période T=2,44.104ans va s’accumuler. Il pourra être facilement séparer de l’uranium, même le réacteur en cours de fonctionnement, car ses propriétés chimiques sont très différentes.

    Comme il est lui aussi fissile, on peut maintenant l’utiliser dans d’autres réacteurs, sans modérateur car 239Pu est un combustible à neutrons rapides (contrairement à l’uranium dont la réaction ne peut être entretenue qu’avec des neutrons de basse énergie) et h @ 2,74 (h @ 2,08 avec des neutrons thermiques).

    h >2 signifie que lors d’une fission 2 neutrons sont produits (cf. formule), 1 peut donc servir à l’entretien de la réaction, l’autre à la fertilisation de l’238U® 239Pu et ainsi de suite. Il suffit donc d’alimenter le réacteur avec de l’uranium naturel. C’est le principe du surgénérateur.

    5)Contrôle de la réaction en chaîne

    Le régime stationnaire d’un réacteur comme on l’a vu correspond au régime critique (k=1). A priori le nombre de neutron varie dans le temps selon un loi exponentielle :

    t étant le temps de séparation entre 2 fissions. Numériquement, en prenant t =10-4s (k-1)=10-3 neutron, le temps de dédoublement T(n(T)=2n0)=0,07s Þ n/n0=2.104 par seconde. La réaction est donc très rapide donc difficilement contrôlable.

    Cependant, des neutrons sont issus d’autres réactions postérieures à la fission. En particulier, comme on l’a dit plus haut, les produits de la fission sont riches en neutron et donc susceptible d’être radioactif b -. Cette radioactivité est caractérisée par une période T assez élevée (de l’ordre de quelques dizaines de secondes). Les électrons engendrés alors vont par collision avec des éléments se trouvant dans un état excité émetteurs de neutron entraîner l’apparition d’autres neutrons dits neutrons " retardés " (puisqu’ils sont subordonnés à la radioactivité b - de période T). Ces neutrons retardés représentent une proportion b . Si on maintient k-1<b , alors la réaction ne pourra diverger qu’avec l’appoint des neutrons retardés. Or du fait de leur période T élevée, le temps de dédoublement est beaucoup plus grand (autour de 50s), ce qui laisse le temps de contrôler la réactivité en introduisant des matériaux très absorbants pour les neutrons (comme le bore ou le cadmium).

III. La fusion

    1)Le phénomène de fusion : Réaction thermonucléaire

    On a vu au chapitre IV.3 que la fusion entre deux noyaux légers en un noyau plus lourd était un processus exoénergétique.

    Exemple :

    d+d ® 3He + n + 3,25MeV
    d+d ® t + p + 4Mev
    d+t ® a + n + 17,6MeV ! 

    Pour réaliser de telles réactions, on doit approcher les deux partenaires à une distance de 10F pour être sensible à l’interaction forte et franchir la barrière coulombienne de l’ordre de 0,15MeV à cette distance. 0,15Mev = 2,4.10-14J = kBT Þ T=1,74.109 °K ! d’où le nom de réaction thermonucléaire.

    De plus, le franchissement de la barrière se faisant par effet tunnel, la probabilité de ce dernier décroît très fortement avec la température. Il est donc très difficile de réaliser une telle réaction sur Terre.

    2)La fusion contrôlée

    L’exploitation de cette source d’énergie présenterait des intérêts considérables. D’abord, tout comme la fission, le rapport énergie produite sur quantité de matière fourni est gigantesque. Ensuite, la " mine " à deutérium qu’est l’océan (à travers l’eau lourde 0,015% de concentration) est intarissable. Enfin, il y aurait très peu de déchets radioactifs.

    Problème : comment maintenir une température aussi grande dans une enceinte sans fuite d’énergie par contact avec les parois ? Comment apporter une puissance de 1015W nécessaire à l’allumage sans tout détruire ?

IV. Les armes nucléaires

    Principe et puissance des bombes

    L’idée est de laisser un réacteur libre de ses réactions, sans modérateurs ni " barres de contrôle " Þ k>1 Þ réactions en chaîne Þ explosion.

    Les pertes par fuite (cf. §II.1), induisent la valeur de k et sont proportionnelles au rapport S/V. Ce dernier est quant à lui directement proportionnel à la densité volumique r de l’élément fissile. Donc il existe r c induisant Sc/Vc tel que k=1, et on défini r c.Vc=mc : masse critique.

    Maintenant, si on prend 2 masses sous critiques et qu’on les approche pour former une masse sur critique Þ réaction en chaîne divergente Þ explosion (Bombe A).


    Schéma d’une bombe A

    A bombe A présentes une relative instabilité, sa puissance est limitée par la difficulté à juxtaposer des masses sous critiques sans compromettre la concentration et la sécurité au repos ou lors de transport. Inconvénients qui n’existent pas pour la bombe H, la fusion ne faisant pas intervenir de masse critique. Le principe de la bombe H est définit précédemment (cf. réaction thermonucléaires), l’énergie nécessaire pour l’allumage est apportée par l’explosion préalable d’une bombe A (" allumette à fission ").

    Ordre de grandeur :

    1 kg de matière fusible Þ 50 kt (d’équivalent TNT)
    1 kg de matière fissible Þ 17 kt

    Le domaine périnucléaire

    Le domaines périnucléaire regroupe les activités qui utilisent les méthodes et techniques de la physique subatomique.

I. L’emploi des marqueurs ou traceurs radioactifs

    1)Définition

    Un traceur radioactif est un isotope instable d’un élément stable. Comme l’isotope instable a les mêmes propriétés chimiques que le stable (les propriétés de la chimie sont induites par les réactions électroniques, comme deux isotopes ont autant d’électron l’un que l’autre leur chimie sera identique), on put l’incorporer dans un système et le suivre grâce à son rayonnement.

    Exemple :

    Le 24Na radioactif isotope du 23Na stable est utilisé pour suivre la circulation sanguine dans les vaisseaux : on injecte dans les veines un composé à base de sodium 24 et 23 qui n’a pas d’influence sur le métabolisme et on " suit " les radiations dues au 24Na.

    2)Principe du décodage des séquences ADN

    Les êtres vivants sont composés de milliards de cellules elles mêmes composées d’un noyau contenant des chromosomes constitués d’une longue chaîne de protéines l’ADN. Ces protéines sont au nombre de 4 (Guanine, Adénosine, Thymine, Cytosine). Selon leur répartition le long de la chaîne ADN, elle définissent un code : le code génétique.

    La première propriété de la vie, est la capacité à se reproduire. La molécule d’ADN va se " photocopier " en utilisant les éléments extérieurs. On prélève donc des cellules que l’on met en culture dans un bain contenant du 32P (isotope radioactif du 31P). L’ADN va se reproduire en utilisant ce 32P. On " déroule " ensuite l’ADN selon le principe d’autophorèse : on soumet la molécule à un champ, les éléments " légers " vont migrer plus vite que les " lourds ", ce qui va entraîner une séparation des 4 protéines G, A, T, C. Il ne reste plus qu’à " photographier " les traceurs 32P constituant les protéines.

    3)Imagerie en médecine nucléaire

    Le principe est de " filmer " le rayonnement g de l’organe ayant des éléments radioactifs fixés. On utilise la " gamma caméra de Anger ", munie d’un collimateur Þ direction précise (résolution de l’ordre du millimètre). Un inconvénient : l’image est plane. Solution : faire tourner la caméra autour d’un axe Þ traitement informatique Þ image 3D.

II. L’analyse sur faisceaux

    1)Sonder la matière

    L’idée est la suivante : on extrait des faisceaux de neutrons thermiques d’un réacteur (cf. chapitre précédent) et on les fait diffracter sur un cristal (diffraction de Bragg). Dualité onde corpuscule Þ les neutrons se comportent comme une onde Þ analogie avec les trous d’Young. Avantage : image instantanée et claire Þ possibilité d’étudier la dynamique de certains systèmes.

    2)Analyse par activation et fluorescence X

    Le but est de mesurer la concentration d’un élément dans un échantillon. Le principe est d’irradier l’échantillon en question par un faisceau de neutrons. Les éléments qui compose la matière vont capter des neutrons au passage et devenir radioactifs. Il vont émettre un rayonnement bien spécifique à chacun d’eux qu’il faut maintenant analyser à l’aide d’un dispositif de comptage Þ on en déduit la composition de l’échantillon.

    Une autre méthode consiste à exploiter la propriété qu’on les atomes à émettre un rayonnement X lorsqu’ils sont traversés par une particule chargée (comme un proton, un noyau a , un ion …etc…) c’est la fluorescence X. Cette méthode est plus précise, elle nécessite l’emploi de détecteur à jonction (cf. chapitre V) pour avoir une résolution élevée de manière à pouvoir distinguer 2 rayons X émis par des atomes de masses atomique voisines.

Conclusion générale :

    Le mot " nucléaire " a cette consonance négative dans l’esprit de chacun. Pourtant, quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que le côté destructeur n’est en fait que la plus simple et la plus facile application de la physique atomique. Les possibilités de cette science récente sont très vastes et infiniment utiles. Seulement, et c’est peut être aussi pour ça qu’il y a tant de réticences vis à vis de l’énergie atomique, les processus qui régissent les réactions sont compris et dominés par l’homme, mais il est impuissant devant les conséquences.



© Cédric Arnoux ©